Mais qui était Mariano Fortuny ?
L’exposition nous emmène à la découverte de ce personnage haut en couleurs d’origine espagnole mais vénitien de cœur. Fils d’un artiste-peintre renommé, il voyage à travers l’Europe : Paris, où, bien introduit dans les cénacles artistiques et intellectuels de l’époque grâce à son père, il entre en contact avec les grands esprits de l’époque, Rome et Munich où il œuvre en tant que scénographe avec un goût prononcé pour les idées de Schopenhauer et l’esthétique wagnérienne. C’est pourtant à Venise qu’il trouve un écrin de pierre à même de sublimer son inspiration. Il capte si parfaitement l’esprit, la lumière et les couleurs de la Cité des Doges qu’il va s’appliquer sa vie durant à en transposer l’atmosphère si particulière dans son œuvre, de toile, de tissu et de papier.
On retient souvent de Fortuny la gloire qu’il connut en tant que créateur de mode pour les grands de ce monde mais on oublie plus volontiers qu’il fut aussi un génial inventeur de théâtre et un peintre de talent. Son amour pour l’art total lui vient de la fréquentation assidue des opéras wagnériens, fort en vogue à l’époque et se reflète dans sa propension à l’éclectisme. Plus tard, sa collaboration aux Ballets Russes de Diaghilev témoignera à nouveau de son goût pour un art sans frontières. Esprit éclairé, il brille dans les domaines les plus variés de l’art, de la science (on lui doit des tentatives d’introduction de l’électricité au théâtre et l’éclairage indirect), des arts décoratifs, de la scénographie et bien sûr de la création textile.
Il est difficile de parler de Fortuny sans évoquer l’atmosphère grandiose de la Venise de la Belle Epoque, celle de Gabriele D’Annunzio, plongée dans une ambiance d’opulence décadente rappelant les tableaux maniéristes de Véronèse mais aussi bien sûr la Venise fantasmée de Proust et de John Ruskin, aux accents médiévaux et spirituels chatoyants. Proust, qui lors de ses voyages dans la lagune eut l’occasion de côtoyer Fortuny, lui rend hommage à de nombreuses reprises dans la Recherche : « Pour les toilettes, ce qui lui plaisait surtout à ce moment, c'était tout ce que faisait Fortuny. […] A la façon des décors de Sert, de Bakst et de Benoist, qui, à ce moment, évoquaient dans les ballets russes les époques d'art les plus aimées — à l'aide d'œuvres d'art imprégnées de leur esprit et pourtant originales — ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d'évocation même qu'un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d'Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu'une relique dans la châsse de Saint Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire. » (La Prisonnière)
Le Palazzo Pesaro degli Orfei, superbe palais vénitien à l’architecture gothique fleurie, demeure et atelier de Fortuny deviendra le point de convergence de toute l’élite intellectuelle et artistique internationale où se mêlent les grands noms du Monde et de l’art. C’est aussi l’atelier où s’affaire mille petites mains d’ouvrières pour plisser les tissus, imprimer la soie et donner vie aux plus belles créations textiles du maître. Dans les années 1910, Fortuny mettra au point plusieurs ingénieuses machines afin de plisser le tissu mécaniquement de manière absolument parfaite, ce qui donnera naissance à l’une de ses créations les plus célèbre, la fameuse robe Delphos, suggérant la Grèce antique et portée par de nombreuses célébrités théâtrales telles les danseuses et chorégraphes Eleonore Duse et Isadora Duncan ou encore Sarah Bernhardt. Il mettra aussi au point de nouveaux procédés de teinture du tissu, qui assureront sa renommée et lui permettront de réaliser de nombreuses créations chatoyantes, inspirées par l’Orient, les cultures lointaines ou les réminiscences historiques : tissus coptes, brocarts, damasquines, imprimés inspirés de la Renaissance…
L’exposition d’Isabelle de Borchgrave est donc une douce invitation au voyage dans le temps et dans l’univers du grand créateur, où se mêlent et dialoguent les créations contemporaines aux robes plissées d’époque. À noter qu’une attention particulière est réservée aux enfants, qui sont accueillis dans une magnifique yourte afin de leur permettre de s’initier au découpage et au plissage du papier.
À voir jusqu’au 15 mars 2013 à l’Atelier Isabelle de Borchgrave
73A chaussée de Vleurgat – 1050 Bruxelles
http://www.isabelledeborchgrave.com