Invité récurrent des Biennales de Venise (1978, 1986 et 1993), Isgrò poursuit invariablement depuis des années un subtil travail de recherche sur l’effacement (la « Cancellatura »). Un travail qui l’amène à effacer tour à tour la Constitution, l’abyssale dette italienne, la géographie d’un grand nombre de pays et, avec beaucoup d’ironie, sa propre identité (« Dichiaro di non essere Emilio Isgrò » œuvre représentant l’artiste à la manière d’un prisonnier fraichement arrêté). Posant les bases d’un nouveau langage, l’effacement est un procédé créatif qu’Isgrò a commencé à explorer dès les années soixante et qui constitue aujourd’hui une poétique complète, propice à l’émergence d’un sens nouveau aux textes ainsi effacés. Poésie vivante, jeu sur le langage, réécriture du monde et de l’histoire, l’effacement est une trace en creux que l’artiste laisse sur son environnement, loin de toute velléité de provocation gratuite mais visant à innerver le monde par des sens nouveaux, jusque là invisibles. « L’effacement ne constitue pas à nier le champ de l’écriture, mais plutôt à le labourer pour en faire émerger de nouveaux rêves et de nouvelles idées. ». Une démarche radicale, ontologique.
Conceptuel mais jamais aride, l’art d’Isgrò est subtil, empreint d’humour et d’une ironie grinçante comme lorsqu’émergent, parmi les traits obfusquant le texte, ces quelques mots rescapés de la Constitution Italienne « L’arte a diritto di sciopero » (l’art a le droit de grève). Profondément amoureux de son pays, mais meurtri par la situation de délabrement actuel, la faillite économique et le déclin moral des élites au pouvoir, Isgrò nous livre une vision de l’Italie à la fois tendre, sans complaisance, toujours lucide, parfois porteuse d’espoir, tels ces pépins d’orange (Seme d’arancia, 1998), symbolisant le renouveau social du Sud méditerranéen, dont il est originaire.
De belles pièces historiques parsèment l’exposition comme l’installation Chopin (1977) avec ces pianos qui, sur une douce mélodie, se voient progressivement envahis de milliers de fourmis ou l’Ore italiana, œuvre émouvante et terrible, dont les cadrans d’horloges, dans un silence glaçant, égrènent les minutes séparant l’explosion des bombes dans l’attentat le plus sanglant qu’ait connu l’Italie, à la gare de Bologne en 1980, lors des « années de plomb ». Cette attaque imputée à un groupuscule d’extrême-droite fit 85 morts et plus de 200 blessés.
Isgrò n’est pas un inconnu en Belgique puisqu’on a pu apprécier récemment la belle série de Codes Ottomans à la Fondation Boghossian à Bruxelles et que certaines de ses œuvres sont également présentes dans les collections permanentes des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.
Avec Lucio Fontana et Piero Manzoni, Isgrò est considéré comme l’une des figures les plus innovantes dans le renouvellement du langage plastique en Italie dans la deuxième moitié du XXe siècle. Cette exposition qui lui rend hommage à travers un parcours jalonné d’œuvres importantes, depuis les années soixante jusqu’à aujourd’hui, mérite le déplacement pour tout qui est de passage à Rome.
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