Usant de différents matériaux, bronze, terre, verre, béton, Rondinone créé des œuvres qui semblent suspendues hors du temps. Et de suspension il est bien question avec la série Landscape, dont la terre sculptée défie les lois de la pesanteur. Dans les salles en béton brut du M, ces formes géométriques, cube flottant, triangle ou tremplin, paraissent redécouper l’espace, le redéfinir par rapport à leur volume fragile et pourtant imposant. De par leur texture terreuse, prêtes à s’effriter, ces sculptures offrent un contrepoint à l’architecture des lieux et invitent à une nouvelle lecture de l’espace. Contrastant avec la pesanteur de ces blocs, de fragiles formes humaines, désarticulées, jalonnent le sol des différentes salles, tels des spectateurs las, plongés dans leurs pensées, entièrement tournés vers leur intériorité, présences troublantes, anonymes et fantomatiques face à cette nature artificielle, importée là par quelque mystérieux détour.
Plus inquiétante, l’installation Primitive (2011) représente une série de cinquante-neuf sculptures d’oiseaux en bronze, nuée lasse, posée dans le silence d’une salle blanche, et dont la présence évoque vaguement Les Oiseaux d’Hitchcock. Figés dans leur gangue de métal, leur envol est rendu improbable, comme arrêté dans le temps. Ca et là, des traces d’empreintes sur leurs corps polis trahissent la rapidité du processus de création, comme si l’artiste avait voulu conférer à ces sculptures une spontanéité contrastant avec le caractère intemporel qui baigne la scène et l’étude très minutieuse de leur disposition dans l’espace.
Le rapport au temps semble être une composante importante de l’œuvre de Rondinone, comme en témoigne la série Clocks, des horloges aux formes de vitraux colorés, placées dans l’embrasure des fenêtres et filtrant la lumière naturelle du lieu. L’absence d’aiguilles suggère un temps en suspension, indéfini, une œuvre sans commencement ni fin.
L’exposition se conclut par une impressionnante installation, dans la plus haute salle du M, un cube en béton monumental suspendu dans une salle au mur et sol idoines. L’installation, intitulée Your Age and My Age and The Age of The Sun, ne laisse rien paraître au premier abord mais cache en réalité sous ses dehors imposants, un travail sensible et plein de poésie. En se penchant, on découvre sur la base du cube des centaines de dessins d’enfants représentant des soleils. Jouant du contraste entre la surface froide du matériau et sa nature anonyme et industrielle, Rondinone réintroduit une touche de poésie, chaleureuse, dissimulée, que le visiteur doit venir chercher sous la surface des choses et des objets qui l’entourent. Belle récompense pour qui ne s’arrête pas à la superficialité des apparences.