- Superamas est un collectif pluridisciplinaire international. Pouvez-vous nous en détailler la composition et les origines ?
P. : Le noyau dur de Superamas est composé de six personnes, auxquelles s’adjoignent des invités pour parfaire l’équation, selon le type de projet que nous traitons, qu’il s’agisse d’un livre, d’un film ou d’un spectacle. Superamas est un collectif nomade, basé à Vienne, Paris et depuis peu en Flandres. La dimension internationale est pour nous quelque chose de fondamental.
- Dans vos supports de communication, programmes, flyers ou affiches, vos noms n’apparaissent jamais. S’agit-il d’un choix délibéré de votre part ?
V. : Nous avons décidé de ne garder que le nom de Superamas parce que cela nous permettait de promouvoir une identité du collectif sans rentrer dans les détails des identités individuelles, ce qui aurait entrainé une dilution de cet esprit de groupe. C’est donc un choix de notre part de faire disparaître nos noms propres au profit d’un nom commun. Superamas, c’est des constellations de gens qui se retrouvent autour de projets précis. Au début, nous étions quatre, puis cinq et à présent six personnes, avec une certaine stabilité au sein de l’équipe. C’est la pluralité des points de vue et des expériences qui fait la richesse de notre groupe : certains membres proviennent du monde du théâtre, d’autres du cinéma, du design, de la musique, de l’ethnologie ou des sciences politiques. Le collectif reste une utopie. C’est quelque chose qui s’oppose à l’individualisme et c’est donc aussi un choix politique.
- Au niveau institutionnel, vous êtes reconnus tant comme une compagnie de danse que comme une compagnie théâtrale. Votre démarche fait également la part belle au travail visuel. Comment vous situez-vous par rapport à ces différentes pratiques ?
P : Nous nous situons au croisement même si les pouvoirs publics ont toujours du mal à rendre compte et légitimer une pratique qui se positionne à la croisée de plusieurs disciplines. Très souvent, lorsque l’on introduit une demande de subventions, ils ne savent jamais très bien où nous placer. Nous sommes très présents tant des festivals de danse que de théâtre mais nous aimons créer des formes qui questionnent les catégories et qui créent un sens un peu particulier à l’intérieur de celles-ci.
- Par rapport au théâtre ou à la danse, votre pratique s’avère plus floue, elle joue davantage de la porosité entre les différentes disciplines.
P. : Nos projets partent davantage d’envies et les médias s’imposent ensuite en fonction de ces envies. Un spectacle comme Youdream s’inscrit à plein à la croisée des disciplines car nous voulions réfléchir le théâtre et les nouveaux médias, l’internet et la consommation des images auxquelles nous sommes soumis quotidiennement avec le numérique.
V. : Le processus de création est pluriel, nous pouvons partir d’une envie ou d’une intuition et en la développant, voir quelles sont les formes de représentation dont on a besoin. Ou à l’inverse, il peut arriver qu’un festival ou une structure culturelle nous fasse une proposition et nous allons créer une forme qui sera en friction ou en dialogue avec celle-ci. Nous aimons travailler avec des limites car la contrainte peut parfois être une forme supérieure de liberté.
- Avec des membres éparpillés dans plusieurs pays d’Europe (France, Belgique, Autriche), cela pose de nombreux problèmes en termes d’organisation décentralisée du travail. Comment organisez-vous votre processus de création, tant en amont, au niveau de la production qu’en aval, lors de la diffusion ?
V. : Nous nous retrouvons soit à plusieurs, soit tous ensembles à travailler sur des parties du spectacle. Nous ne sommes pas un collectif où tout le monde s’occupe de tout. Il y a une répartition des rôles assez claire mais qui peut être changeante, en fonction des projets, des envies et des capacités de chacun. C’est là où la démarche du collectif prend tout son sens.
- Quel est votre mode de fonctionnement artistique ? Y a-t-il une hiérarchie au sein de votre collectif ?
P. : Nous avons tous au sein du groupe un problème avec la hiérarchie. À un moment donné, l’un d’entre nous va prendre la main sur un projet spécifique et va avoir une voix prépondérante par rapport aux autres mais sans que le projet se développe toutefois de manière isolée. Et cette personne n’est pas nécessairement celle qui aura la main sur le projet suivant.
V. : le fait que l’on provienne d’horizons différents avant d’avoir intégré Superamas a bien sûr une influence sur les niveaux de compétences des uns et des autres, mais il y a aussi un certain nombre de choses que nous partageons. Chacun a un œil aiguisé sur les pratiques des autres et en même temps un grand intérêt sur les champs de chacun d’entre nous et c’est bien pour cela que nos créations sont estampillées Superamas et non pas nommément. Bien entendu, cela ne se passe pas toujours sans heurts. Mais ce regard critique que nous conservons en interne est plus souvent productif que castrateur.
- Au regard de vos productions, on a l’impression qu’elles évoluent dans un écosystème cohérent. Le processus de déconstruction ou la dérision semblent par exemple constituer certains des procédés de travail récurrents.
P. : Nous aimons incarner certains sujets mais nous gardons toujours un œil sur la représentation. Nous travaillons tant sur la création d’images que sur la réflexion que celles-ci engendrent.
V. : Il y a une volonté de notre part d’affirmer que le théâtre, les arts visuels ou le cinéma ne pouvaient pas laisser le monopole du divertissement à Walt Disney. Les habitudes des spectateurs et du consommateur culturel sont telles que s’il y a une désertion des théâtres et des endroits de « haute culture » c’est parce que celle-ci ne donne pas les clés du plaisir au spectateur. Nous trouvons qu’il est extrêmement important de partager avec les spectateurs le plaisir d’être ensemble et celui de la représentation. C’est un pré requis absolu avant de pouvoir amener à une réflexion sur cette représentation.
- Youdream se réfère par le format de courtes « capsules » aux vidéos postées sur Youtube et qui circulent sur les réseaux sociaux. Votre volonté est-elle par là de se rapprocher d’un certain public jeune, peu habitué à l’exercice théâtral, et de lui permettre de se réapproprier la discipline théâtrale en lui proposant une expérience et un langage qui lui sont familiers ?
P : Cela fait partie d’une stratégie pour adresser notre message à un public auquel nous nous identifions et avec des thèmes qui nous sont proches. Nous critiquons le monde qui nous entoure mais nous en faisons également partie. Nous ne considérons pas le théâtre comme une Eglise. Nous ne nous situons pas au dessus du problème qui nous intéresse mais en-dedans.
- Dans Youdream, vous faites appel à la participation du public de manière ludique. Comment s’articule cet aspect participatif avec le reste de la dramaturgie ?
P. : On joue beaucoup de cette ambigüité. Est-ce que tout est organisé, préparé ou y a-t-il encore des moments impromptus ? Dans le passage qui traite des rêves, il y a une prise de parole des spectateurs et une expérience de théâtre « authentique ».
V. : Si des parties sont effectivement improvisées, il y a des choses qu’on fait passer dans les improvisations, on y introduit déjà par petites touches ce qui va venir par la suite. La transition est l’introduction du film qui est lui-même la représentation d’un rêve dans lequel se déroule une pièce de théâtre. C’est une mise en abîme et les spectateurs se regardent à ce moment comme dans un miroir. Nous voulions questionner l’authenticité de la représentation mais aussi notre propension à adhérer à toutes les manipulations en tant que spectateur.
- Grace à la technique du découpage, vous vous attelez à démonter, à « démontrer » le spectacle en donnant à voir ce qui n’est pas visible d’habitude, par la technique du hors-champ et l’utilisation des coulisses notamment. Ce statement artistique se retrouve-t-il aussi dans vos autres travaux ?
V. : C’est important parce que c’est exactement ce que ne fait pas la télévision. Nous essayons de manière distrayante de créer de à la réflexion.
P. : Dans le spectacle, nous sommes condamnés à gérer le cadre du théâtre, qui est relativement inamovible et essayer malgré tout de recadrer et d’en sortir. Nous essayons de redonner un nouveau statut au théâtre traditionnel en brisant le cadre et en donnant une place au public.
- Pourquoi vos spectacles se déroulent-ils en anglais ou en version bilingue ? Est-ce un choix dicté par le pragmatisme des tournées à l’étranger ?
V. : La culture de masse à laquelle nous nous référons est anglo-saxonne. Donc l’anglais était un choix logique. Bien sûr, nous avons aussi beaucoup de dates de tournées à l’étranger et assez peu dans les pays francophones, donc l’usage d’une langue véhiculaire, l’anglais, s’impose. Nous rencontrons toujours beaucoup de répondant du côté du public français mais pas nécessairement du côté des producteurs. C’est peut-être le genre d’humour que nous pratiquons qui ne leur plait pas. Mais c’est amené à changer car il y a de plus en plus de jeunes metteurs en scène qui travaillent sur d’autres formats que ceux du théâtre traditionnel.
- Le film qui balise votre spectacle Youdream offre une technique de tournage quasiment cinématographique. Il y a un vrai travail de script et de photographie dans ce faux-documentaire. Comment s’est déroulé le tournage ?
V. : Nous avons bénéficié d’un accueil du Vooruit à Gand, qui a mis le théâtre à notre disposition et le film a été tourné entièrement là-bas. Malheureusement, nous n’avons pas accès au subventionnement de type cinématographique mais avec les différents coproducteurs, nous avons mis en place un mode de production proche de celui du cinéma ou du téléfilm afin de pouvoir atteindre ce niveau de qualité, qui est mis au service du projet théâtral, en adéquation avec le sujet.
- Vos spectacles sont-ils diffusés dans d’autres circuits que ceux du théâtre traditionnel ?
P. : Nous avons fait quelques expositions dans des galeries ou dans des musées mais la plupart du temps, celles-ci gravitaient autour de festivals dans lesquels nous étions invités. Par contre, nous sommes parfois invités dans des festivals de cinéma. La croisée des catégories est assez peu répandue même si les pratiques deviennent de plus en plus multiformes. Il y a finalement assez peu d’exemples de gens qui réussissent à percer vraiment dans les différents milieux, comme le fait Jan Fabre par exemple.