En 1967, l’artiste déclarait ainsi au magazine Arts Canada « Je ne m’intéresse pas au noir en tant que tradition (ou non) à travers l’histoire de la peinture, ou comme quelque chose qui serait en rapport avec le pigment ou en opposition à la couleur. Comme je travaille et j’explore le noir sous différents angles d’approche, j’en arrive à être toujours davantage convaincu que le noir est en fait le début de toute chose » expliquait-t-il alors avant de donner un tour plus socio-politique à sa pensée « Je crois avec ferveur que le concept de ‘black power’ est porteur d’un message puissant car il détruit l’ancienne notion de l’homme occidental, et met à bas la représentation traditionnelle de l’art. »
Peintre, sculpteur, cinéaste, poète, performer, Tambellini place la pratique interdisciplinaire au centre de son action créative. Lorsqu’il emménage à New York en 1959, il fonde le Group Center avec des artistes venus de différents horizons, afin de présenter des alternatives non-traditionnelles visant à faire connaître le travail du collectif. Il organise ainsi des événements « intermédiatiques » et des performances « électromédiatiques » dans le Lower East Side new-yorkais, où se mêlent performances radicales et cinéma d’avant-garde. Une approche novatrice à l’époque, qui aujourd’hui a largement fait école et résonne encore avec une acuité particulière.
En 1965, Tambellini commence à peindre directement sur la pellicule pour ses séries de Black Film. Le plus célèbre d’entre eux est certainement Black TV (1965), où il enregistre sur moniteurs des extraits de l’actualité politique et sociale pour ensuite les filmer en 16mm à différentes vitesses et les présenter sur un grand écran diptyque. L’installation, impressionnante de modernité, figure en belle place dans le parcours de l’exposition au ZKM. Visionnaire, Tambellini livrait ainsi sa vision de l’avenir, au mitan des années 60 : « Dans le futur, nous communiquerons tous à travers des images transmises électroniquement et Black TV parle du futur. » Une vision on ne peut plus prémonitoire alors…
De nombreuses installations vidéo sont présentes dans l’immense espace d’exposition du ZKM et retracent l’activité expérimentale débordante de Tambellini depuis les années 60 jusqu’à aujourd’hui, notamment avec des pièces comme Burn Black (1965-1968), qui montre la fascination de l’artiste pour le feu et son utilisation comme élément destructeur et créateur à la fois, Black Round (1965-1968) ou encore Communicationsphere, série qui s’essaie à travers une dizaine de vidéos présentées sur moniteurs à une réflexion critique de la société de mass media et de communication en train d’émerger au début des années 80. « Nous vivons dans une réalité définie par l’invention structurelle des médias de masse, l’image imprimée et électronique sont les blocs de construction sur lesquels se construit notre évolution culturelle » explique alors l’artiste.
En point d’orgue, deux installations vidéo monumentales, Retracing Black (2012), triptyque multimédia qui explore les manipulations picturales de l’image en mouvement couplées à une réflexion sur l’effondrement des dogmes de la société de consommation américaine, et Black Matters (2017), une grande installation multi-écrans, qui fait écho aux événements en cours aux USA et à la ségrégation sociale dont sont victimes les afro-américains.
À côté des travaux vidéo, mais non de moindre importance, de nombreuses séries de peintures ou sculptures explorant différentes formes de noir, la spirale, le feu dans une sorte de lyrisme abstrait typique de la première manière de Tambellini. Remarquable à cet égard la belle série des Lumagrams (1966-1967) réalisée à partir de diapositives 35 millimètres peintes en noir, griffées, perforées pour être enfin projetées et révéler ainsi des formes nouvelles et primaires.
Une belle rétrospective donc en hommage à cet artiste capital de la scène underground new-yorkaise des années 60 et 70, pionnier de l’interdisciplinarité et du multimédia et dont la reconnaissance est venue tardivement. L’exposition du ZKM ne démérite pas par rapport aux dernières manifestations en date qui lui ont été consacrées à la Tate Modern, au MOMA ou au Centre Pompidou. Elle donne à voir un panorama très complet de la pratique artistique de cette grande figure de l’art contemporain et met en lumière sa modernité radicale.
À découvrir jusqu’au 6 août 2017 au ZKM de Karlsruhe.
www.zkm.de